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Monsieur Oscar, King of Wembley

C'était par une chaude après-midi de janvier 2008, à Copacabana. Sous un néon clignotant, dans un bureau sombre et exigu, il avait accueilli le corps fatigué mais l'œil rieur. « Êtes-vous architecte ? Non ? Ah… So Foot ? Huuum, bon. » Feuilletant le dernier numéro, il était resté circonspect: l'improbable couverture rose fluo sur laquelle semblait danser un Jean-Michel Aulas en état d'ivresse ne lui disait rien qui vaille. Avant de feuilleter la bête : pour un type qui n'aimait pas l'angle droit mais « la courbe libre et sensuelle, la courbe que (je) rencontre dans les montagnes de mon pays, dans le cours sinueux de ses rivières, dans les vagues de la mer, dans le corps de la femme préférée», paraître concerné par les oreilles de Marama Vahirua, les convictions de Rudi Garcia et la barbe d'Eric Gerets était déjà une petite mort.

Il venait de fêter ses cent ans avec Hugo Chavez, et ce n'était rien de dire qu'il regrettait déjà d'avoir accepté de recevoir le plumitif en goguette qui, après une quarantaine de coups de fil et autant de réponses polies mais négatives, avait torturé sa sonnette d'une dizaine de pressions pour s'assurer qu'il était toujours vivant, au pied de l'immeuble dans lequel il occupait deux étages et qu'il avait bien évidemment dessiné. Parler football ? Hormis quelques sorties pour accompagner ses amies afin d'aller admirer Fluminense et leurs gambettes en tribunes, il s'en foutait royalement. Pourtant, il finira par accepter ce qui restera comme le seul entretien accordé à la presse française depuis. Son dernier. Par quel mystère ? Un arrêt opportun sur les pages roses du magazine ou poses lascives et maquillage canailles de nymphes en mal d'amour et d'argent ne semblaient pas entamer son amour des femmes. « Bien au contraire… », dixit alors l'esthète entouré de dizaines de toiles de corps de muses au fusain.

Revigoré par le passage de sa secrétaire de longue date qu'il venait, veuf, d'épouser en secondes noces, il sembla rajeunir à vue d'œil: « Dans ma tête, j'ai soixante ans. » Ramassé sur son siège, en bleu de travail et marcel immaculé, sous une chemise blanche vaporeuse, il laissait filer l'après-midi sans regret quand il évoqua entre deux insultes à destination de George Bush sa seule expérience en liens avec le football. C'était à la fin des années 30, pour son seul projet de stade d'envergure. Dans les faits, le plus grand: le Maracaña. Le génie de Monsieur Oscar ? Proposer des idées novatrices: une pelouse sous le niveau du sol de sept mètres et, surtout, un arc incliné. Immense. Pour soutenir une marquise, et la tribune avec. L'arc et la marquise, deux caractéristiques du nouveau stade de Wembley, inauguré en 2007 et conçu par Sir Norman Foster. Un hommage ou un vol, désormais, c'est selon. Le projet d'Oscar Niemeyer, lui, fut exclu pour une histoire de densité du sol non compatible avec ses rêves.

Ce qu'il aurait aimé que le peuple dise de lui le jour où la vigueur l'abandonnera ? « Modeste, il a aimé la vie avec la solidarité dans le cœur». C'est bien non ? Nous sommes si petits devant le monde. Après, il faut partir tant que la vie est belle… » Monsieur Oscar est parti, à quelques heures de souffler ses 105 bougies. « Oscar Niemeyer et moi sommes les derniers communistes de cette planète » avait un jour déclaré Fidel Castro. Il n'en reste donc désormais qu'un, en survêtement. A moins qu'il n'ait été le dernier… BF

L'interview d'Oscar Niemeyer est disponible dans le So Foot 52.

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